Il y a maintenant plus de vingt-cinq ans que l'on offre, au
Canada, une formation à l'informatique pour des fins de
recherche aux étudiants avancés en histoire. Au début des
années 1970, l'essor de l'histoire sociale quantitative dans
l'historiographie occidentale a conduit un certain nombre
d'institutions canadiennes à offrir à leurs étudiants
avancés des cours d'introduction à l'analyse quantitative
par ordinateur et à la constitution de bases de données
historiques. Dans certains cas, entraînés peut-être par
l'exubérance d'un Lawrence Stone ou d'un Emmanuel Le Roy
Ladurie, qui prédisait que « l'historien de demain sera
programmeur ou ne sera plus »(1), certains départements ont même
intégré cette formation aux études de premier cycle en
histoire(2).
Aujourd'hui, l'engouement pour
l'histoire sociale quantitative semble en grande partie
tombé. Les raisons en sont nombreuses et comprennent sans
aucun doute l'aridité des méthodes statistiques et
l'effort considérable que requiert la constitution et
l'analyse de bases de données importantes. Paradoxalement,
ce délaissement survient au moment même où le matériel
informatique devient plus abordable et plus convivial. Par
ailleurs, l'usage de l'informatique dans la recherche
historique dépasse depuis longtemps la seule analyse
statistique, comme s'est appliquée à le montrer, depuis
maintenant près de quinze ans, l'Association for History and
Computing(3). L'analyse de texte par
ordinateur, la cartographie informatisée et le traitement
informatique de l'image sont venus enrichir l'arsenal des
outils de recherche à la disposition de l'historien, en
même temps que la révolution de l'Internet lui offre de
puissants moyens de communication et de diffusion de la
recherche, non seulement à l'intention de ses pairs, mais
également vers le très large public qui fréquente le WWW.
Enfin, de plus en plus d'étudiants arrivent à l'université
avec des connaissances informatiques poussées et
s'enquièrent naturellement des manières de mettre ces
connaissances à contribution dans leur formation
universitaire.
Dans ce nouveau contexte, il
nous apparaissait qu'il fallait repenser la structure d'un
cours de méthodologie du programme de maîtrise en histoire
de l'UQAM, le cours
HIS7008 - Initiation à l'informatique de recherche en
histoire. Ce
cours, qui n'avait pas été offert depuis l'été 1994,
revenait à l'horaire à l'automne 1998. Traditionnellement,
ce cours mettait l'accent sur la constitution de bases de
données et sur l'analyse statistique. Il semblait
maintenant nécessaire d'élargir les perspectives tout en
assurant une formation élémentaire à l'analyse et à
l'interprétation des données historiques. J'ai fixé comme
objectif de la nouvelle version du cours d'initier les
étudiants aux possibilités qu'offre l'informatique pour la
cueillette d'information historique de toute nature, pour
son analyse et pour la communication des résultats de la
recherche.
La présente communication
offre un bilan critique de la nouvelle orientation de ce
cours, afin de partager l'expérience de l'automne 1998 et
d'obtenir des commentaires et des suggestions qui
pourraient améliorer le cours, qui sera de nouveau offert
à la session d'automne 1999. Je commencerai par décrire
les objectifs d'apprentissage, les conditions matérielles
d'enseignement et les connaissances préalables des
étudiants. J'exposerai ensuite le plan du cours et son
déroulement. J'esquisserai le bilan qu'ont fait du cours
étudiants et professeurs et je vous demanderai enfin vos
commentaires et suggestions pour la version du cours que
j'offrirai l'automne prochain.
- 2. Objectifs
d'apprentissage
L'objectif fondamental du cours était d'offrir une
initiation aux outils informatiques utiles à la recherche en
histoire, quelle que soit la nature de cette recherche. Le
cours voulait proposer un éventail de méthodes de traitement
de l'information afin de répondre à une diversité de besoins
de formation tels qu'exprimés par les étudiants eux-mêmes.
Il voulait également susciter la réflexion sur les objets et
sur les méthodes de l'histoire, et en particulier sur
l'influence réciproque des problématiques et des outils de
travail dans l'élaboration d'un projet de recherche.
L'initiation à une gamme variée d'outils informatiques
avait comme conséquence qu'aucun ne pourrait être vu en
profondeur. Le cours courait le risque de s'éparpiller dans
plusieurs directions sans offrir de formation technique
adéquate dans aucune de celles-ci. Ce n'est cependant la
partie technique du cours qui allait s'avérer la plus
difficile pour les étudiants, mais la partie proprement
historique, qui les forcerait à réfléchir sur leur pratique
historique, à expliciter leurs modèles d'analyse et à
poursuivre une démarche de recherche rigoureuse.
3. Stratégie pédagogiques
Un cours d'initiation à l'informatique de recherche en
histoire est forcément un cours d'apprentissage par la
pratique, et la pratique passe nécessairement par les
ordinateurs. Le choix des stratégies pédagogiques est donc
contraint en premier lieu par l'environnement de travail
(enseignement et apprentissage).
Environnement de travail
Il peut sembler trivial d'insister sur la nécessité de
disposer d'un environnement de travail propice à
l'apprentissage des outils informatiques, mais cela est
fondamental, car l'environnement disponible fixe les limites
de ce qu'il est possible de demander aux étudiants. Il faut
disposer d'un laboratoire équipé d'appareils performants
pour le traitement informatique exigé dans le cours et pour
l'accès à Internet. Idéalement, chaque étudiant doit
disposer d'un poste de travail durant les cours et pour les
ateliers, mais à la rigueur deux étudiants peuvent partager
un poste de travail durant les cours. Pour le cours offert à
l'automne 1998, le laboratoire disponible était équipé d'un
poste de travail pour le professeur et de 18 postes pour les
étudiants, soit le nombre d'étudiants inscrits au cours. En
pratique cependant, il arrivait fréquemment que, pour une
raison ou une autre, un ou deux postes soient hors d'usage.
Comme l'objectif du cours n'est pas de former des
spécialistes en logiciels, mais des chercheurs en histoire,
il faut initier les étudiants aux logiciels les plus
susceptibles d'être utilisés par des étudiants de maîtrise
en histoire pour leurs propres recherches, c'est-à-dire
essentiellement des logiciels d'usage courant et de prix
modique, comme Microsoft Office Pro (avec Excel et Access),
FileMaker, ou encore des logiciels gratuits comme Netscape
Communicator. De manière générale, il est préférable de s'en
tenir à des logiciels conviviaux, faciles à manipuler, car
on dispose généralement de peu de temps pour faire
l'apprentissage des logiciels. Les logiciels de cartographie
informatisée ont constitué l'exception à cette règle; nous
avons utilisé un des logiciels dont se servent les étudiants
en géographie, soit MapInfo, parce qu'il était disponible au
laboratoire et qu'on pouvait facilement amener les étudiants
à produire des cartes rudimentaires à partir des données et
des fonds de cartes livrés avec le logiciel.
Le laboratoire doit de plus être ouvert selon un horaire
qui convient aux étudiants. Ceux-ci doivent avoir
régulièrement accès pour se former à l'usage des logiciels
et pour préparer leurs travaux. Dans le cas de nos étudiants
de maîtrise, qui ont souvent des emplois à temps partiel,
cela veut dire que le laboratoire doit être accessible le
soir et les week-ends.
Enfin, l'aménagement physique du laboratoire affecte la
prestation de l'enseignement. La salle du laboratoire de
micro-informatique des sciences humaines que nous avons
utilisée est aménagée en forme de 'U', les postes de travail
faisant face aux murs. Cette disposition permet au
professeur de se déplacer rapidement d'un poste de travail à
un autre pour observer ce que les étudiants font et les
dépanner lorsque nécessaire. Le poste du professeur est
relié à un appareil qui projette sur écran mural ce qui
s'affiche sur l'écran du poste; les étudiants peuvent ainsi
voir, de partout dans la salle, ce que le professeur est en
train de faire. Des tables, disposées au milieu de la salle,
offrent aux étudiants un espace de travail où ils pouvaient
déposer les matériaux historiques - cartes, atlas, plans,
documents - à traiter.
Dernière précaution concernant l'environnement informatique
utilisé dans un tel cours. Il est essentiel d'aviser les
étudiants dès le départ que le support pédagogique fourni
par le professeur ne peut s'étendre aux configurations
informatiques dont les étudiants peuvent disposer chez eux
et qui diffèrent de celles offertes dans le laboratoire.
Capacité d'encadrement
La capacité d'encadrement constitue la deuxième contrainte
dans le choix d'une stratégie pédagogique. Un cours dont la
pédagogie est axée sur l'apprentissage par la pratique exige
beaucoup d'encadrement et de supervision individuelle. Il
faut donc prévoir à la fois du temps d'enseignement -
définition de concepts, présentation de stratégies de
travail, illustration par des exemples - et du temps
d'apprentissage, où les étudiants expérimentent les
logiciels et entreprennent les travaux demandés dans le
cours. Dans le cas qui nous occupe, les cours de maîtrise
étant dispensés le soir à l'UQAM, la rencontre hebdomadaire
de trois heures d'enseignement dans le laboratoire de
micro-informatique était suivie le lendemain d'une période
de laboratoire, également de trois heures, durant laquelle
j'étais disponible au laboratoire pour conseiller les
étudiants et leur montrer concrètement comment faire
certaines opérations informatiques. Cette période de
laboratoire ne fut mise à l'horaire qu'après le début de la
session, et entrait en conflit avec un autre cours de
maîtrise, auquel n'était heureusement inscrit qu'un seul de
mes étudiants. Pour l'automne 1999, la période de
laboratoire sera comprise dans l'horaire du cours communiqué
aux étudiants, ce qui évitera de tels conflits d'horaire.
En plus de ma présence au laboratoire, j'étais en contact
avec les étudiants par courrier électronique et par des
consultations au bureau. Cela représentait en moyenne une
heure supplémentaire d'encadrement par semaine.
J'ai également mis à la disposition des étudiants une liste
de discussion électronique. Cela visait deux objectifs : en
premier lieu, les habituer au courrier électronique, et en
second offrir aux étudiants un mécanisme de communication en
dehors des périodes de cours. La liste fut régulièrement
mise à contribution, une fois la glace brisée par une
discussion de recettes de sauce à spaghetti!
Enfin, les notes de cours étaient disponibles sur Internet
au moment du cours. Les étudiants pouvaient retirer les
notes du site Web du cours(4) et y ajouter leurs propres
annotations pendant le cours. Cela faisait l'affaire des
étudiants qui avaient l'habitude du clavier et qui
pouvaient taper assez rapidement; je conseillai aux autres
de s'en tenir au papier pour la prise de notes.
Connaissances antérieures
des étudiants
Les connaissances antérieures
des étudiants constituent une troisième contrainte dans
l'élaboration des stratégies pédagogiques dans un cours
d'introduction aux techniques informatiques de recherche
en histoire. L'étendue variable des connaissances
antérieures des étudiants est un problème pédagogique
courant. Pour en minimiser l'importance, le cours avait
été conçu à l'intention d'étudiants qui n'avaient pas de
connaissances étendues de l'informatique : la seule
connaissance requise était de savoir suffisamment utiliser
l'ordinateur pour se servir d'un traitement de texte.
Cependant, cela n'a pas
éliminé le problème du niveau varié des connaissances
préalables. Les étudiants se répartissaient grosso modo en trois catégories. Une première
catégorie de « novices », qui ne connaissaient que le
traitement de texte, ne comprenait que quatre étudiants.
Les autres avaient des connaissances plus élaborées; il
savaient utiliser le courrier électronique et naviguer sur
Internet ou avaient déjà utilisé Excel ou Access, quoique
ces connaissances fussent assez rudimentaires. Enfin, un
étudiant possédait des connaissances avancées en
informatique : il était programmeur et concepteur
graphique, avec de l'expérience dans la création de sites
Web. Une façon de composer avec ces différences était de
miser sur les étudiants les plus expérimentés en
informatique pour donner un coup de main aux autres.
Ainsi, l'étudiant programmeur servit, à l'occasion, de
personne ressource pour les autres étudiants.
En cours de semestre, il est
devint par ailleurs manifeste que l'ampleur des
connaissances préalables des étudiants n'était pas un gage
de leur aptitude à maîtriser rapidement de nouveaux
logiciels. En fait, ces connaissances préalables étaient
souvent plus rudimentaires qu'on l'aurait cru; on
connaissait les quelques fonctions essentielles d'un
logiciel mais on était loin de savoir en tirer
intelligemment tout le profit possible. Par exemple,
plusieurs étudiants ont éprouvé de la difficulté à saisir
le mode de fonctionnement des connexions entre
ordinateurs.
4. Plan de cours proposé
Au début du cours, j'ai
proposé aux étudiants un plan de cours dont les cinq
premières parties étaient composées d'éléments que je
jugeais essentiels au cours. La sixième serait ajustée en
fonction des intérêts des étudiants.
Le cours commençait par une
réflexion générale sur les liens entre l'évolution des
moyens technologiques dont peuvent disposer les historiens
et l'évolution des problématiques et des méthodes de
recherche. Il poursuivait rapidement avec une introduction
aux communications informatiques, outil essentiel à la
poursuite du cours : introduction au courrier
électronique, à telnet et à ftp.
En troisième partie, le plan
de cours offrait un survol des sources historiques
disponibles en format électronique, soit sur cédérom, soit
par les réseaux, et proposait des lignes de conduite pour
la recherche d'informations à caractère historique sur le
Web. Cette partie offrait un classement raisonné des
divers types de sources historiques disponibles ainsi que
des critères d'évaluation de la qualité de ces sources.
La quatrième partie du cours
portait sur la saisie et la manipulation de données
historiques à l'aide de l'ordinateur. Cette partie
abordait d'abord la modélisation des données historiques
en bases de données. Elle offrait ensuite une introduction
aux logiciels de base de données : définition des tables
et des champs, création de formulaires de saisie de
données, manipulation informatique des données
recueillies: uniformisation, catégorisation, production de
variables dérivées et de données agrégées.
La cinquième partie du plan de
cours était consacrée à l'analyse des données. Elle
comprenait une introduction à la représentation graphique
des données et à l'analyse statistique (statistiques
descriptives, corrélations), essentiellement au moyen
d'Excel. Les données utilisées provenaient soit des bases
de données constituées par les étudiants, soit de ma
propre base de données contenant les rôles d'évaluation de
la ville d'Arvida dans les années 1930.
La dernière partie du plan de
cours serait orientée selon les intérêts des étudiants.
Elle pourrait porter sur l'analyse de texte, la
représentation cartographique, ou le traitement de l'image
et la création de sites Web. Dans le cas de la création de
sites Web, il s'agissait d'amener les étudiants à pouvoir
diffuser des résultats de recherche historique par le Web,
une habileté qui requiert une bonne capacité de synthèse
et d'organisation de l'information. L'introduction à la
création de sites Web servait « d'appât » pour le cours,
étant donné tout l'intérêt autour d'Internet, mais elle
visait surtout à donner aux étudiants des habiletés
techniques qui leur seraient utiles sur le marché du
travail. Quant au traitement de l'image, il s'agit d'un
élément essentiel à la constitution d'un site Web mais il
sert également à la formation en histoire par
l'apprentissage du traitement de sources historiques non
textuelles.
Les travaux pratiques proposés
étaient conçus de façon à offrir une progression depuis
des tâches élémentaires vers des tâches de plus en plus
complexes. Cette progression devait s'effectuer en quatre
temps. Le premier travail visait à faire découvrir la
variété des sources historiques disponibles sur le Web, à
amener les étudiants à les consulter de façon critique et
à leur faire juger de la qualité des informations
historiques qu'on y trouve. Le travail consistait en une
évaluation critique de trois sites Web : un site Web
comprenant des données historiques chiffrées, un deuxième
comprenant des sources écrites, et un troisième
fournissant des documents iconographiques. Une grille
d'évaluation serait élaborée en commun; elle serait
ensuite mise à la disposition des étudiants sous la forme
d'un formulaire Web pour faciliter la transmission des
travaux au professeur(5).
Le deuxième travail visait à
initier les étudiants aux logiciels bases de données et à
leur application à des données historiques. Les étudiants
devaient choisir une source historique, analyser la
structure des informations qu'elle contient, en définir le
contenu (précision, types d'information) et constituer une
base de données relationnelle qui représenterait
fidèlement l'information contenue dans la source. Le
travail était divisé en deux parties principales : 1)
l'analyse de la structure et du contenu de la source; 2)
la modélisation logique et la création d'une structure de
base de données au moyen de File Maker ou d'Access.(6)
Comme troisième travail de la
session, les étudiants avaient le choix d'approfondir les
outils informatiques qu'ils considéraient les plus utiles
à leur propre formation. Il pouvaient préparer une analyse
statistique, monter une carte par ordinateur, faire une
analyse de texte par ordinateur, ou créer un site Web. Les
résultats de ce troisième travail seraient présentés en
classe à la fin du cours, pour amener les étudiants à
réfléchir sur leur expérience d'apprentissage et sur les
résultats de leur démarche.
Enfin, le dernier travail
proposait une évaluation d'outils informatiques différents
de ceux qui auraient été utilisés au cours du troisième
travail. En cours de session, il cependant est apparu que
l'investissement dans le troisième travail était beaucoup
plus considérable que ce qui avait été anticipé, et le
dernier travail fut supprimé.
5. Choix des étudiants
Lors de la deuxième semaine de
cours, les étudiants devaient indiquer leur choix pour le
troisième travail. Cela me permettrait d'arrêter le
contenu de la dernière partie du cours en fonction des
besoins de la majorité des étudiants. Deux tendances se
manifestèrent. La moitié des étudiants choisirent
l'analyse statistique, et presque tous les autres pour la
création d'un site Web. Une seule personne opta pour la
cartographie informatisée. Personne ne se montra intéressé
par l'analyse de texte par ordinateur. La dernière partie
du cours fut donc élaborée en fonction de ce choix : elle
mit l'accent sur l'analyse statistique et sur la création
de sites Web, ce qui impliquait également une initiation
au traitement de l'image. Une séance fut consacrée à une
introduction à la cartographie informatisée au moyen de
MapInfo.
En cours de semestre,
l'intérêt des étudiants envers l'analyse statistique se
transforma en intérêt pour la création d'un site Web.
Seulement trois étudiants ont persévéré avec l'analyse
statistique. Sans doute effarouchés par la rigueur de la
démarche statistique, plusieurs étudiants pensaient que
réaliser un site Web serait plus facile que de faire une
analyse statistique.
6. Le déroulement du cours
La stratégie pédagogique
générale prévue pour le cours comportait une progression
dans le niveau de difficulté des apprentissages. Il
s'agissait tout d'abord de familiariser les étudiants avec
les fonctions de communications des ordinateurs; on
utiliserait ensuite les communications électroniques tout
au long du cours, pour mettre du matériel pédagogique à la
disposition des étudiants et pour leur permettre de
communiquer entre eux et avec moi en dehors des cours. La
suite des apprentissages était construite de façon
cumulative. Il fallait maîtriser une partie avant de
passer à une autre. Par exemple, la connaissance des
principes des bases de données relationnelles constitue un
préalable à la cartographie informatisée, dont les
logiciels conservent les données à traiter et les
informations cartographiques dans des bases de données. De
la même manière, la création d'un site Web exige la
connaissance des logiciels de traitement de l'image et des
logiciels de transfert de fichiers entre ordinateurs. Il
était donc important que chaque étape du cours soit
maîtrisée avant de passer à la suivante.
À l'expérience, la progression
dans les apprentissages a été plus ardue que ce que
j'avais estimé au départ. La première difficulté est
apparue au moment de l'apprentissage des méthodes de
connexion entre ordinateurs (telnet, ftp), ce qui a semblé assez compliqué pour les
étudiants. Cela s'explique en partie par la latitude que
je leur avais laissée dans le choix des méthodes d'accès
au courrier électronique : pour consulter son courrier
électronique, un étudiant pouvait soit utiliser Netscape
sur son poste de travail au laboratoire, soit utiliser telnet pour faire du micro-ordinateur du laboratoire
un terminal sur un serveur Unix et utiliser le logiciel de
courrier électronique Pine sur ce serveur. Dans le premier
cas, l'étudiant devait, à chaque séance de travail au
laboratoire, inscrire le code d'accès et le mot de passe
de son compte de courrier électronique dans Netscape et
surtout ne pas oublier d'effacer ces informations du
logiciel après la séance de travail. Par ailleurs,
Netscape permettait d'expédier facilement des fichiers par
courrier électronique sous forme de pièce jointe.
L'étudiant qui utilisait le serveur Unix devait se
familiariser avec les rudiments de ce système
d'exploitation, dont l'interface en mode texte est assez
éloignée de l'interface Windows! Les étudiants branchés
sur Unix avaient de la difficulté à distinguer le
traitement local du traitement sur le serveur. Enfin, des
étudiants étaient déjà abonnés à un service de courrier
électronique comme HotMail et ne voyaient pas toujours
l'utilité d'apprivoiser un autre système. Ils rataient
ainsi une partie des apprentissages portant sur Unix.
La deuxième difficulté majeure
rencontrée dans la progression des apprentissages
concernait la compréhension de la modélisation des données
et le maniement des logiciels de bases de données. La
difficulté provenait en partie de la liberté laissée aux
étudiants du choix des données historiques à traiter. Je
leur avais proposé de choisir des sources en fonction de
leurs intérêts de recherche en maîtrise. Or, la plupart
des étudiants en étaient à leur première session de
maîtrise et certains n'avaient pas encore arrêté le sujet
de leur mémoire ou repéré les sources sur lesquelles ils
comptaient travailler. Il a fallu improviser quant au
choix des sources retenues et ces choix ne se prêtaient
pas toujours à l'apprentissage d'un système de bases de
données.
La modélisation des données en
bases de données relationnelle s'est avérée un exercice
difficile pour certains étudiants. La modélisation des
données s'appuie sur un certain nombre de principes de la
logique des ensembles qui apparaissent simples au premier
abord mais qui sont assez difficiles à saisir dès que l'on
a à définir des relations (jointures) entre les tables
d'une base de données. Enfin, j'ai présenté trois
logiciels de base de données : le convivial mais peu
puissant FileMaker pour des applications simples; les
logiciels de bases de données relationnelles Access et
Oracle pour la manipulation d'ensembles plus complexes de
données logiquement liées entre elles. En dépit de la
similarité des concepts à la base des trois logiciels, les
différences de terminologie, d'interface et de
fonctionnalité étaient trop marquées pour être absorbées
dans le temps alloué à cette partie du cours.
J'avais fait le choix
d'examiner les trois produits pour montrer comment les
systèmes de bases de données varient en puissance et en
complexité. Il est certain qu'un bon nombre d'étudiants
peuvent trouver leur compte avec un produit comme
FileMaker, mais dès qu'on veut procéder à des traitements
un peu complexes de données historiques, il faut utiliser
un système de gestion de données relationnel et, par
conséquent, un produit qui « parle » le langage de bases
de données, SQL. Access offre cette possibilité, mais cela
est presque caché dans le produit. J'ai donc eu recours au
système de bases de données Oracle, disponible sur un
serveur Unix, pour l'initiation à SQL. Cela exigeait une
bonne compréhension de la théorie des ensembles pour la
rédaction de requêtes mettant en relation des tables
différentes ou des sélections un peu raffinées. De plus,
l'environnement Unix n'avait pas été suffisamment maîtrisé
au début du cours et devait être appris de nouveau.
Si l'apprentissage d'Oracle
sur Unix oblige à utiliser un système d'exploitation peu
connu du grand public, inversement, des produits à grande
diffusion comme FileMaker et Access comportent leurs
propres difficultés. On peut perdre un temps considérable
à développer l'aspect visuel des formulaires de saisie et
de consultation des données en même temps qu'on doit
concevoir leur structure logique. Chaque type de produits
possède donc ses avantages et ses inconvénients, et je ne
suis pas certain lequel est le plus efficace sur le plan
pédagogique, dès lors qu'il s'agit d'insister sur les
principes des bases de données relationnelles et sur les
possibilités de traitement qu'elles offrent.
La dernière difficulté majeure
a porté sur la conception de pages Web. Ce n'est pas la
compréhension des règles de composition de pages Web et
des principes de la navigation sur un site Web qui posé
difficulté. Les difficultés sont survenues chez les
étudiants qui ont manqué de rigueur dans leur démarche de
conception de pages Web. Séduits par la facilité avec
laquelle on peut créer et modifier des pages Web et
entraînés par leurs inspirations créatrices, des étudiants
se sont parfois laissés aller à du bricolage intempestif,
sans stratégie ou méthode précises. Certains d'entre eux
ont ainsi perdu beaucoup trop de temps sur l'aspect
technique de cet exercice parce qu'ils n'avaient pas fait
de réflexion préalable suffisamment méthodique sur le
contenu et la structure de leur site. Il aurait fallu
insister davantage sur la nécessité d'une planification
systématique du site avant d'en entreprendre la
réalisation. Certains ont voulu simplement transférer du
matériel historique du support papier vers un support
électronique, sans prendre en compte la nature
particulière du Web, ce qui a donné des résultats
désastreux.
Tout au long du cours,
l'encadrement individuel de la part du professeur, durant
la période de laboratoire, au bureau et par courrier
électronique, était essentiel pour juger de la progression
des étudiants et des difficultés qu'ils rencontraient. La
plupart des étudiants n'étaient pas habitués à faire des
apprentissages de nature aussi systématiquement
cumulative; ils avaient donc souvent besoin
d'encouragement et de rappels sur les étapes antérieures
du cours. Il fallait souvent insister sur la nécessité de
travailler de façon méthodique.
Par ailleurs, le travail en
laboratoire a spontanément suscité la collaboration entre
les étudiants. Ceux-ci partageaient des références, des
adresses sur le Web, ou des trucs de disposition de page
Web. La conception de sites Web a exercé l'esprit créateur
des étudiants. On peut en constater les résultats sur le
site du cours.
Enfin, comme dernière activité
d'apprentissage, les étudiants devaient présenter les
résultats de leurs travaux. Cette activité avait deux
objectifs : favoriser le retour individuel sur les
apprentissages et permettre aux étudiants de situer leur
expérience d'apprentissage par rapport à celles des autres
membres du groupe. Les deux dernières semaines du cours
furent consacrées à ce bilan. En dix minutes, les
étudiants devaient présenter le but de leur travail
(analyse statistique ou site Web), les résultats obtenus,
et évaluer la pertinence de leurs apprentissages dans leur
formation de maîtrise. Chaque présentation était suivie de
questions et de discussion.
7. Le bilan des étudiants
Lors de ces présentations, des
étudiants ont remarqué que la quantité de travail demandée
par ce cours était élevée et qu'ils n'avaient pas eu assez
de temps pour approfondir toutes les parties du cours. On
a suggéré que le cours comprenne six crédits et soit
offert sur deux sessions. Étant donné que les étudiants
n'ont que quatre cours à suivre pour la scolarité de
maîtrise, cette suggestion serait difficile à mettre en
œuvre. Cependant, il est remarquable qu'une seule personne
ait abandonné le cours, et il s'agissait d'un abandon du
programme et non simplement du cours. Les autres étudiants
ont persévéré et certains se servent aujourd'hui de
l'expérience acquise pour monter des sites Web en rapport
avec leur mémoire de maîtrise.
La plupart des étudiants ont
apprécié le travail de conception de sites Web, qui leur
permet de diffuser facilement, à bon compte et à un vaste
auditoire le résultat de leurs travaux de recherche.
Plusieurs ont suggéré de rendre la période de laboratoire
obligatoire (ce qui sera fait cet automne). Certains, qui
en étaient à leurs premières armes en informatique, ont
vaincu leur peur de la machine. D'autres ont trouvé
valorisant de partager collectivement les diverses étapes
de l'apprentissage. Tous ont considéré le cours très
pertinent à leur programme de maîtrise.
Le cours a également été
évalué selon la procédure formelle en vigueur au
département d'histoire de l'UQAM. L'évaluation comprend un
questionnaire et les commentaires individuels des
étudiants. Globalement, le cours HIS 7008 a été jugé
'satisfaisant'. La distribution des réponses indique qu'un
petit nombre d'étudiants n'a pas apprécié le cours, mais
que la majorité l'ont coté 'satisfaisant' ou 'très
satisfaisant'. L'aspect le plus controversé du cours, soit
la charge de travail, a été coté entre 'satisfaisant' et
'très satisfaisant'. Les quelques commentaires individuels
ont suggéré un rétrécissement du nombre de sujets abordés,
plus de pratique en classe et plus d'exemples concrets; je
donnerai suite à ce suggestions l'an prochain.
8. Le bilan du professeur
La chose sans doute la plus
difficile à faire pour un professeur versé dans l'usage de
l'informatique est de se mettre dans les souliers d'un
débutant. Ce qui apparaît élémentaire à un expert peut
sembler incompréhensible au novice. Seule l'expérience de
l'enseignement d'un tel cours peut nous amener à bien
cerner les difficultés qui confrontent les étudiants.
Il est essentiel de fournir
l'environnement informatique le plus simple et le plus
stable possible et de réduire au minimum les difficultés
techniques, sinon on risque de démotiver les étudiants
rapidement. Il faut par ailleurs prendre conscience les
difficultés intellectuelles et les difficultés
méthodologiques des étudiants et travailler avec eux pour
qu'ils les surmontent, car cela est au cœur des
apprentissages à faire lors d'un programme de maîtrise.
Il faut également trouver un
équilibre entre le désir de laisser les étudiants profiter
du cours en travaillant sur leurs propres sources et la
nécessité d'offrir des niveaux de difficulté relativement
égaux pour tous dans les travaux à effectuer. Je serais
donc porté à l'avenir à proposer un corpus de données
commun, du moins pour le travail de conceptualisation des
bases de données.
L'objectif premier du cours
était d'outiller les étudiants pour la poursuite de leurs
travaux de maîtrise, en particulier la préparation de leur
mémoire, et donc d'en faire de meilleurs historiens, en
les forçant à examiner leurs sources avec minutie et à
déterminer de manière rigoureuse les questions auxquelles
ils veulent obtenir des réponses en consultant les
sources. Le recours méthodique à l'informatique exige une
réflexion préalable sur les objectifs d'un projet de
recherche. Or, certains étudiants ont trouvé cette
réflexion ardue, car ils n'avaient pas de conception bien
définie de leur propre projet de recherche.
9. Conclusion
L'apprentissage des outils
informatiques pour la recherche historique se fonde sur
l'interaction constante entre la problématique et les
méthodes de la recherche d'une part et le potentiel des
outils informatique de l'autre. Sans problème historique à
résoudre, l'apprentissage des techniques informatiques
tourne à vide. Mais sans connaissance du potentiel
qu'offrent les outils informatiques pour la saisie, la
manipulation et l'analyse des données historiques et pour
la diffusion des résultats, les étudiants demeurent
cantonnés dans des démarches de recherche très
rudimentaires.
La forte demande pour le cours
que j'ai donné à l'automne 1998 indique que les étudiants
ont conscience de l'utilité d'une formation de base en
informatique pour la poursuite de leurs études de
maîtrise. Cette formation doit dorénavant être assez large
pour répondre à l'éventail des besoins des étudiants. Cela
pose des défis pédagogiques intéressants!